Brexit et Bail Commercial
(Jugement de la High Court of England – Canary Wharf and European Medicines Agency - 20.02.2019 EWHC 335)
Un tribunal anglais a récemment eu à se prononcer sur l’impact du brexit anglais sur l’exécution d’un bail commercial sur le fondement de l’imprévision ou «frustration of the contract » encommon law.
L’affaire CW v/ EMA du 20 Février 2019 est un exemple idéal pour entrevoir les différences entre le droit anglais et le droit français appliqué au bail commercial.
L’Agence Européenne du Médicament (EMA) ayant des besoins particuliers quant à la nature de ses locaux, a conclu avec la société Canary Wharf (CW) un contrat ayant pour objet la location, pour une durée de 25 années, d’un immeuble à construire dans le quartier des affaires, place Churchill, à Londres. Passée la 1ère échéance triennale, l’EMA a notifié à son bailleur son intention de résilier son bail si le brexit se réalisait.
Un jugement anglais refuse de considérer la survenance du Brexit comme une cause légitime de dispense d’exécution du bail commercial sur le fondement de la force majeure ou de l’imprévision. Le débat a porté sur la pertinence des éléments susceptibles d’être pris en considération pour fonder l’effacement du bail, le fameux terme anglais, «frustration of the lease ».
Il est à noter que le droit anglais est particulièrement attaché à la liberté contractuelle et l’adage « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » a une dimension encore plus importante au Royaume-Uni. C’est pourquoi les juristes anglais intègrent fréquemment une clause de force majeure permettant la rupture aisée du contrat en cas de circonstances non prévisibles.
La jurisprudence anglaise distingue l’impossibilité d’exécution et l’exécution plus difficile ou moins rentable pour le débiteur de l’obligation. La « frustration » se produit quand le droit reconnaît que, sans faute de l’une ou l’autre partie, un engagement contractuel ne peut plus être exécuté car les circonstances de l’exécution conduiraient à une chose radicalement différente de celle qui avait été convenue dans le contrat initial.
Dans cette affaire, le choix d’un bail de longue durée et l’absence de clause de rupture ont été considérés comme des facteurs aggravant la situation de l’EMA dans mesure où, ils traduisent une volonté d’assumer un risque inhérent à une telle situation que représente le Bréxit . Tous les contrats en cours sont susceptibles d’être concernés par le Brexit. A défaut, la partie qui n’a pas prévu ou obtenu une clause appropriée pour s’extirper de la nasse contractuelle subira la lettre du contrat.
Le parallèle peut être fait avec le droit français notamment depuis la réforme du droit des obligations.
En conclusion en droit français comme en common law, lorsqu’un contrat est conclu, notamment un bail commercial, il est de première importance d’y insérer les bonnes clauses de « force majeure » et de hardship afin d’anticiper la survenance de faits « imprévisibles » au sens de l’article 1218 du code civil.
La sagesse rédactionnelle implique donc d’insérer des clauses de « force majeure » pour tenter de prévoir la survenance de l’imprévisible.
Une ligne de conduite identique dans les deux systèmes juridiques consiste à se placer sous sauvegarde de justice ou à déclarer un état de cessation des paiements. La seule crainte d’un tel choix du preneur rend souvent le bailleur plus attentif à l’impérativité d’une solution négociée, en ce compris la cessation de la relation locative de longue durée. L’imprévision n’exclut pas la raison.
En définitive, les différences entre les deux droits ne peuvent être que de quelques degrés. Il est clair que la force du droit anglais tient à l’impérativité de principe des engagements contractuels, alors que celle du droit français et d’autres droits civils continentaux procède d’une lecture plus ouverte du contrat.